Service du Dr. DAVERAT, neurologue, médecine physique et réadaptation de St-André. C.H.U. de Bordeaux (étude menée par Pierre De Chaumont).
Tests, analyse statistique (en annexe), discussion (en annexe) et conclusion.
Nous rappelons les quatre grands types de tests qui s’offrent à nous : le repositionning error (RE), le seuil de perception du mouvement, l’EMG des réactions anticipatives ou adaptatrices, et le postural sway.
Les trois premiers ont la particularité d’être très spécifiques : Le RE s’intéresse à la statesthésie, le seuil de perception du mouvement à la kinesthésie, L’EMG des réactions anticipatives au feedback, et l’EMG des réactions adaptatrices au feedforward. Dans le cadre de notre test, ces arguments jouent en leur défaveur : en effet, nous voulons mesurer le lien entre lombalgie et déficit proprioceptif, qu’il soit au niveau des récepteurs proprioceptifs, de l’intégrité boucles neuromotrices, ou de la justesse de la réponse musculaire. Un test se focalisant sur une seule de ces composantes passerait peut-être à côté d’une autre.
Le RE demande des capteurs 3D de pointe, et le seuil de perception du mouvement un fauteuil motorisé avec capteur très précis : dans les deux cas, il s’agit de matériel très dispendieux. L’EMG de surface, quand nous nous intéressons surtout aux réactions des muscles profonds, est inadapté.
Nous avons donc opté pour le postural sway. En effet, celui ci évalue l’intégralité d’un déficit proprioceptif : kinesthésie, statesthésie, biofeedback, feedforward, fuseaux neuromusculaires, déficit musculaire ; tous ces déficits se traduiront par un mauvais équilibre, et seront visibles au postural sway.
Nous avons passé en revue les différents matériels dans le but de tester la proprioception lombaire.
Le ballon de Klein, au vu de son instabilité oblige à travailler pieds posés (compensation plantaire), ou si les pieds sont décollés oblige de fortes contractions abdominales parasites. La coque abdogain®, centre la proprioception au niveau lombaire ; mais les déséquilibres engendrés et la position ''allongée'' ne respectent pas la physiologie de fonctionnement du rachis lombaire. Les exercices assis, sur tabouret ou sur plateau de Freeman, entraînent une rétroversion du bassin, et le corps doit lutter pour maintenir la lordose physiologique.
On se souviendra des avancées dans la rééducation de l'entorse de cheville externe avec l'arrivée des chaussons Myolux®. Les développeurs du chausson se sont intéressés à la physiologie de l'articulation sub-talaire, et ont induit avec précision sur le chausson un déséquilibre selon l'axe de Henke, axe biomécanique de la sub-talaire. Le travail et le testing de la proprioception est d'autant plus efficace et précis qu'il reproduit précisément la physiologie, qu'il cible la zone, et évite les compensations.
Afin de cibler au mieux la proprioception lombaire, revenons à la physiologie de travail du rachis :
Le rachis est sollicité la plupart du temps en charge (poids du tronc et des membres supérieurs). On peut donc d'ores et déjà exclure les tests avec rachis en décubitus dorsal ou ventral, on préfèrera un test rachis en verticalité.
Certains auteurs ont, dans leurs études, testé spécifiquement un plan. Mais le complexe lombo-pelvien est fait pour rouler, tanguer et virer et l'existence d'un plan de mouvement préférentiel n'est, à notre connaissance, pas démontré. Dans le cadre d'un test général de la proprioception lombaire, il sera préférable de prendre en compte les trois plans de l’espace.
Cholewicki propose un test proprioceptif, avec une excellente reproductibilité (0,77<r<0,96), patient assis sur un plateau de Freeman hémisphérique, posé sur ''plate force''. On a donc un rachis en verticalité, et une mobilité dans les trois plans de l'espace. Mais la position assise a pour inconvénient une composante de rétroversion sur le pelvis, du fait de la flexion de hanche importante. Elle a tendance à cyphoser le rachis lombaire. Or le rachis lombaire possède une lordose physiologique. Le patient luttera pour garder sa lordose, ou bien il travaillera en effacement de courbure voire en cyphose (surtout lors de déstabilisation, on peut supposer que dans la difficulté le dos ira en position de confort).
Les chaises ergonomiques (ou assis genoux) conseillées aux secrétaires induisent une proclive des membres inférieurs, maintenant sans effort la lordose physiologique. Le test devra solliciter le rachis en neutralité des courbures.
L'outil retenu pour le test est un outil de plus en plus utilisé par les kinésithérapeutes : la nacelle ou Mobidos® Il est au rachis lombaire ce que le chausson Myolux® est à la cheville.
La selle de la nacelle est montée sur un ressort à la raideur relativement élevée. Elle a pour avantage d'induire un déséquilibre dans les trois plans de l'espace, rachis en verticalité, et en neutralité des courbures : Un travail proprioceptif du rachis lombaire dans sa physiologie.
Nous avons quatre compensations principales citées par les auteurs :
La compensation oculomotrice : la boucle visuelle oculomotrice est une compensation proprioceptive importante. Le patient devra donc effectuer le test les yeux fermés.
La compensation plantaire : la voute plantaire est très riche en afférence proprioceptive, et les pieds ne devront pas toucher le sol afin de ne pas biaiser la spécificité du test.
La compensation proprioceptive des membres inférieurs : les informations et biofeedback du membre inférieur seront limités ; grâce à la position assise d'une part et grâce aux membres inférieurs fixes d'autre part. (l'appui tibial sur les coussins limite la mobilité).
La compensation proprioceptive cervicale : le rachis cervical est riche en afférences proprioceptives, et pourrait nuire à la spécificité du test : Mizuno met en évidence une compensation cervicale de la stabilité lombaire sur balancelle (vestibulo collic reflex). On mettra donc une minerve afin de limiter cette compensation. Un autre phénomène vient mettre des contraintes sur les modalités du test : L’imbrication de la ‘’dominante proprioceptive’’ avec les autres dominantes. En effet, on ne doit tester au maximum que le déficit proprioceptif lombaire, et un manque de souplesse des chaines pelviennes ou du rachis, un déficit musculaire en force ou en endurance ne doit pas influer sur les résultats du test. Pour cibler au mieux la proprioception lombaire, on devra donc travailler : avec les chaînes pelviennes et le rachis détendus, ce qui est vérifié dans la position sur le Mobidos® (chaînes pelviennes détendues, et rachis détendus, avec le dos en position physiologique) de manière à ne pas solliciter les muscles trop en endurance (brièveté du test), ni en force. Nous avons donc élaboré une étude avec ce choix de matériel, et en respectant au mieux les principes décrits ci-dessus.
Le principe du test est de mettre en évidence à l’aide de la nacelle le déficit proprioceptif lombaire des patients lombalgiques chroniques. Le sujet monte sur l’appareil pendant une durée déterminée, et essaie de conserver son équilibre sur l’appareil. Un laser, fixé sur la selle, pointe le sol, et suit ainsi les mouvements de l’appareil. Il matérialise les oscillations par le point lumineux projeté.
Le recueil des données se fera par une webcam qui filmera les déplacements du laser. La vidéo sera ensuite traitée par un logiciel d’acquisition, afin de mesurer le trajet total parcouru par le laser. Les trajets (représentant l’importance de l’instabilité du sujet) seront comparés entre le groupe témoin et lombalgique.
De mesurer le déficit proprioceptif lombaire, de la manière la plus précise et ciblée possible.
D’observer les différentes corrélations entre l’atteinte proprioceptive et différents paramètres (gravité de la lombalgie chronique, âge, etc...)
D’ébaucher un test plus simple, à partir de l’appareil, facilement utilisable par un opérateur.
Nous avons sélectionné 20 personnes asymptomatiques. Il est constitué de 7 hommes et 13 femmes. L’âge moyen est de 38,7 ans (σ=10,2ans). Le poids moyen est de 66,1 kg (σ=10,1kg). La taille moyenne est de 1,72 m (σ=0,10m).
Nous avons sélectionné 23 personnes lombalgiques chroniques. Il est constitué de 10 hommes et de 13 femmes. L’âge moyen est de 42,6 ans (σ=12ans). Le poids moyen est de 74 kg (σ=14.8kg). La taille moyenne est de 1,69m (σ=0,09m).
Les critères d’inclusions utilisés sont :
Une lombalgie chronique diagnostiquée médicalement
Un épisode aigu remontant aux deux semaines précédentes
Un score de Québec supérieur à 20
Les critères d’exclusions utilisés sont :
Une opération chirurgicale du rachis
Un déficit de l’appareil vestibulaire
Le Mobidos® a donc été l’appareil retenu pour l’évaluation. Une équerre en fer a été vissée sous la selle, afin de servir de support au laser. Le laser a été moulé dans une plaque de plastique thermoformable, puis vissé sur l’équerre. Ce dernier est ainsi maintenu à la structure métallique de la selle, garantissant plus de précision dans la retransmission des oscillations.
Un écran blanc en bois a été disposé en dessous du laser. Il limite les biais dus aux irrégularités du terrain et aux aspérités qui fausseraient la position du laser.
L’acquisition se fait par une webcam. Elle est fixée sur une barre métallique, elle-même vissée sur une table. Ce montage permet d’avoir une acquisition vidéo à l’aplomb du site où le laser oscille, limitant les biais dus à l’angle de prise de vue (défaut de perspective).
Afin de garantir une bonne reproductibilité, des mesures ont été prises entre les différents éléments. Le schéma suivant modélise le montage.
L’axe du Mobidos®, l’axe de l’écran de bois et la tige métallique de la table sont en alignement. L’écran en en contact avec le pied métallique du Mobidos®. La webcam est à 12 cm de la selle. Des repères au sol ont été placés afin de replacer les différents éléments lors de l’installation des patients, si cela s’avérait nécessaire.
Le sujet remplit de prime abord un questionnaire comportant des items sur des informations personnelles (âge, taille, poids, etc...), puis le score de Québec. Les objets lourds ou vêtements encombrants sont retirés. La minerve de Philadelphia est posée sur le sujet. Il reçoit comme consigne :
’’vous allez vous installer sur la machine, et au signal, vous fermerez les yeux puis lâcherez les mains.
Vous essaierez de tenir l’équilibre sur l’appareil pendant une durée de 15 secondes’’.
Le sujet s’installe sur l’appareil avec pour consigne de se grandir. Des ajustements au niveau des fesses et des tibias du patient seront effectués, afin que le laser pointe toujours un même point noir sur l’écran de bois. Ces ajustements ont pour but d’améliorer la reproductibilité.
La prise de vue dure 20 secondes, et le signal est donné 5 secondes après le lancement de la webcam, afin d’être sûr de filmer l’intégralité du test.
Le sujet remplit à la fin du test une échelle visuelle analogique (EVA), avec la consigne sui- vante : ‘’sur une échelle de 0 à 10, à combien estimez-vous la difficulté à tenir l’équilibre sur l’appareil ? 0 étant aucune difficulté, 10 étant la difficulté maximum.’’
Si nous trouvions a posteriori une corrélation entre atteinte proprioceptive et EVA, celle-ci pourrait suffire à l’évaluation de la proprioception. Nous aurions ainsi un test simple et peu couteux, pour évaluer la proprioception lombaire, plus ou moins fiable en fonction de la force de la corrélation.
Le traitement de la vidéo est effectué à partir du logiciel d’acquisition physique ‘’Logger pro 3’’. La position du laser est repérée, image par image. Le laps de temps entre deux images est de 175 ms.
L’étalonnage est effectué à partir du petit côté de l’écran de bois. Il est posé à l’échelle x2 (1unité=0.5m). L’origine du repère est par défaut le premier point placé. Cinquante images consécutives seront ainsi traitées, pour une durée de prise de vue totale de 8,575s.
Nous avons remarqué lors des pré-tests, qu’au commencement du test, la coupure brutale des informations visuelles, avec le lâcher du guidon, entrainait un déséquilibre plus grand, et des mouvements de rééquilibration très aléatoires durant les cinq premières secondes. Le traitement de la vidéo commence donc 5 secondes après le signal, afin de limiter les biais dus à ces réactions.
Les coordonnées des positions du laser sont ensuite traitées dans un document Excel, et le trajet total du laser est calculé. La distance entre deux points est obtenue grâce à la formule.
La distance totale parcourue par le laser est la somme des 49 distances entre deux points consécutifs.
On peut observer le laser qui à chaque image est repéré par un point bleu. Le point de repère noir sur l’écran marquant la position zéro est aussi visible. Les coordonnées des points apparaissent à gauche, en fonction du temps.
Après analyse des corrélations linéaire intra-groupe, il ressort du groupe témoin :
Une corrélation entre l’EVA et le résultat : r=0.82. La significativité7 de ce coefficient est inférieure à 0.0001 (soit moins de 0.01% de risque d’erreur).
Une corrélation quasi-parfaite entre le poids et le résultat : r=0,92. La significativité p du coefficient est très inférieure à 0.0000001 (soit moins de 0.00001% de risque d’erreur).
Une corrélation entre la taille et le résultat : r=0,52. La significativité de ce coefficient est de 0,01 (1% de risque d’erreur). Cette corrélation est vraisemblablement trompeuse : le poids augmentant avec la taille, il s’agit du lien entre poids et résultat qui transparait ici (Biais de confusion).
Avant de poursuivre, la corrélation linéaire poids-résultat se doit d’être analysée. En effet, on pourrait en conclure hâtivement que l’augmentation du poids est un facteur de perte proprioceptive. Cette corrélation est pourtant due à un autre phénomène : la raideur constante du ressort de la selle du Mobidos®. Le Mobidos® induit des oscillations plus prononcées chez un sujet de 90kg, quand le sujet de 40kg n’éprouvera que peu de difficulté à passer le test.
Afin d’augmenter la précision du test en éliminant ces variations parasites dues au poids, deux solutions existent :
Ajuster la raideur du ressort en fonction du poids du sujet, ce qui nous est matériellement impossible trouver la relation mathématique entre le poids et le résultat, afin de déterminer les variations dues au poids, et les retrancher au résultat.
Nous avons donc choisi la deuxième possibilité, celle-ci étant très fiable, et simple dans notre cas : Premièrement la corrélation entre ces deux variables est linéaire, ce type de corrélation étant beaucoup plus facile à calculer qu’une corrélation non linéaire. Deuxièmement la significativité est très inférieure à 0.0000001, rendant ainsi la méthode très fiable (à plus de 99,999999999%). Nous pouvons donc calculer la droite liant les deux variables, par la méthode de régression: y=33,25x+44,93. Nous obtenons ainsi les tableaux C et D, situés en annexe. Les Tableaux 7 et 8 sont un récapitulatif de ces données.
Afin de ne pas passer à côté de corrélation à cause du brouillage engendré par les variations dues au poids, les corrélations suivantes ont été calculées à partir du résultat rectifié. Nous observons :
Aucune corrélation entre l’âge et le résultat rectifié : r=0.37. (p = 0.1 > 0.05)
On sait que l’âge induit un vieillissement musculaire, une détérioration de la structure interne de l’os spongieux, une fragilisation des éléments ligamentaires. La proportion de lombalgique aug- mente d’ailleurs avec celui-ci. Pourtant il ne semble pas altérer l’intégrité des boucles neuromotrices chez les sujets sains. En effet, il ne ressort de l’analyse du groupe témoin aucune corrélation entre l’âge et la perte proprioceptive, et ce même après correction du poids.
Aucune corrélation entre le nombre d’heures de sport pratiquées et le résultat rectifié: r=0.32 (p=0.15 > 0.05)
Le nombre d’heure de sport ne semble pas non plus améliorer de manière significative la proprioception lombaire. Notons toutefois que le type de sport n’a pas été différencié ici, et qu’une étude s’intéressant à la proprioception de sportif sollicitant les mouvements du bassin (danse, art martiaux) comparée au sujet lambda pourrait mettre ce phénomène en évidence.
Il s’est imposé, lors des tests du groupe lombalgique, une modification du protocole : la moitié des sujets n’arrivait pas à tenir les quinze secondes nécessaires à l’obtention d’un résultat. Nous avons donc réitéré le test trois fois consécutivement, chez ces personnes-là. Le temps maximum durant lequel elles ont tenu sur la nacelle sans se rattraper au guidon a été inscrit dans le tableau des résultats.
Nous avons donc décidé de scinder le groupe lombalgique en deux parties : les douze per- sonnes n’ayant pas réussi le test, et les onze personnes qui l’ont réussi. On se servira donc seule- ment des résultats de ces dernières pour l’analyse statistique (Taille = 1.66 +/- 0,08 m ; âge = 38 +/- 8,9 ans ; poids = 68,3 +/- 15 kg).
Après analyse des corrélations linéaires intra-corrélation entre l’EVA et le résultat : r=0,23. (p=0,15 > 0,05)
Une procédure simple de détection d’un déficit proprioceptif, avec l’EVA remplaçant l’analyse vidéo, ne peut donc être imaginée : D’après l’analyse statistique, même s’il existe une corrélation significative entre l’EVA et le résultat dans le groupe témoin, cette corrélation n’est pas retrouvée dans le groupe lombalgique, empêchant la mise en place d’une telle procédure.
Une corrélation quasi-parfaite entre le poids et le résultat : r=0,92. La significativité p du coefficient est inférieure à 0,0000001
Une corrélation entre la taille et le résultat : r=0,57. La significativité de ce coefficient est de 0,01. (Même biais de confusion). Après rectification du résultat afin d’annuler le bruit du au poids, nous n’observons aucune corrélation entre le score de Québec et le résultat : r=0,23. (p = 0,5 > 0,05)
Luoto avait mis en évidence une corrélation entre la gravité de la lombalgie et l’importance de la perte proprioceptive. Nous ne retrouvons pas ici de corrélation significative (p=0.15). Il est néanmoins possible que le score de Québec soit un moins bon marqueur de la lombalgie (Luoto avait utilisé l’index Oswestry).
Mais nous rappelons que la lombalgie est plurifactorielle, et que la gravité reste entre guillemet la somme de toutes les dominantes atteintes. On peut donc imaginer deux sujets présentant un même déficit proprioceptif, mais le premier étant de surcroit très raide. Ce dernier pourrait avoir une lombalgie plus grave, avec un même déficit proprioceptif. Il serait normal, en suivant ce raisonne- ment, de ne pas trouver de corrélation.
Aucune corréaltion entre l'âge et le résultat : r=0,40. (p = 0.2 > 0,05)
Toujours après rectification du résultat, le test de Student à N1+N2-2 = 29 ddl met en évidence une différence très significative entre lombalgique et témoin : le paramètre de Student vaut 17.04, la significativité proche de 0, et le risque d’erreur aussi (à 29 ddl, les tables de Student s’arrêtent bien avant
17).
Nous rappelons que la comparaison intergroupe a été limitée aux onze sujets lombalgiques ayant passé le test jusqu’au bout. Intéressons-nous maintenant aux douze sujets lombalgiques qui n’ont pas réussi le test.
L’objet du graphe 1 est de se demander si les sujets lombalgiques ont échoué à cause de la trop grande difficulté du test en raison de leur poids, ou réellement à cause d’un déficit proprioceptif trop important. En effet la moyenne de poids de ces douze personnes est de 79.5 kg, un poids moyen relativement plus élevé que le groupe témoin (66.1 kg).
Nous pouvons remarquer que le triangle violet ayant le plus petit résultat estimé est très inférieur au plus grand résultat des témoins (carré orange), qui ont tous réussis le test. Ce sujet doit très probablement son échec à une perte proprioceptive plus élevée. Les quatre sujets suivants ont un résultat estimé compris entre 1 et 1,5, ce qui correspond à la limite supérieure des témoins, mais reste très inférieur à la limite supérieure des lombalgiques ayant réussi le test (≈2). On peut supposer que leur échec est également dû à une plus grande perte proprioceptive. Les deux points suivants ont un résultat estimé compris entre 1,5 et 2. Ils s’approchent de la limite supérieure des lombalgiques ayant réussi le test (losanges bleus). Quant aux trois derniers triangles violets, ils l’ont dépassée. Pour ces cinq derniers points, les deux hypothèses restent possibles.
Nous tenons tous de même à souligner un fait en faveur de l’hypothèse d’une perte proprioceptive : les différences d’oscillations entre les sujets ne sont pas perceptibles à l’œil nu, elles se révèlent seulement après l’analyse de la vidéo. Les sujets n’ayant pas réussi le test présentaient en revanche un déséquilibre beaucoup plus flagrant, avec des oscillations plus prononcées, et surtout une incapacité à mettre en place des réactions adaptatrices aux déséquilibres engendrés par l’appareil. Ces observations étant vraiment évidentes chez les sujets notés ‘’imp’’ : ces derniers, aussitôt le guidon lâché, ‘’tombaient’’ d’un côté avec parfois une réaction adaptatrice complétement inefficace, et le plus souvent aucune réaction. Ces observations sont évidemment subjectives, mais soulignent une différence importante entre l’échec et la réussite du test. Donc même s’il est évident que l’augmentation du poids augmente la difficulté du test, nous pensons que l’hypothèse d’une perte proprioceptive plus importante serait plus probable.
La Reproductibilité a été testée à l’aide du coefficient de corrélation intra classe. Nous avons donc fait une série de 12 tests sur une même personne (externe au groupe témoin), asymptomatique. Les tests sont espacés de cinq minutes chacun. Nous avons calculé le coefficient de corrélation intra-classe, à l’aide de la formule comparant deux variances : la variance due à l’instrument (?′2, celle des douze tests), et la variance ‘’biologique’’ (?2, celle du groupe témoin) :
Nous obtenons la valeur de 0.96, et donc une très bonne reproductibilité (Nous rappelons qu’un ICC de 0.80 est considéré comme satisfaisant).
Suite aux conclusions de Bruyneel sur l’apprentissage proprioceptif rapide des patients avec un déficit proprioceptif, la reproductibilité au sein du groupe lombalgique n’a pas été testée : Tous les patients ont été gardés pour constituer le groupe lombalgique le plus large possible.
Nous avons également fait attention à ne pas faire monter les sujets lombalgiques sur le Mobidos® avant le test, afin de ne pas biaiser le test par ce phénomène d’apprentissage rapide.
Un pré-test a été effectué sur douze personnes, afin d’affiner le test. Les objectifs étaient d’avoir une idée de la moyenne et de la variance inter individu, et de la variance de la mesure (reproductibilité), et d’affiner le protocole, le questionnaire et la reproductibilité du test.
Les résultats ont permis :
D’ajuster la hauteur de la prise de vue : Le cadre doit être assez large pour enregistrer les variations extrêmes du laser, et assez serré sans quoi on serait moins précis dans l’enregistrement des variations minimes.
De mettre au point un système de fixation solide du laser, et de la webcam.
D’affiner le protocole d’installation du patient, afin d’améliorer la reproductibilité. Nous avons donc placé un point de repère sur l’écran que le laser doit pointer, lorsque le patient est en position zéro, rachis en position physiologie, en lui demandant un auto-agrandissement.
De mettre en place le marquage au sol, et les repères entre les différents éléments maté- riels, afin que le système nacelle-écran-webcam soit fixe, toujours dans le but d’améliorer la reproductibilité.
Comme les études précédentes, nous retrouvons ici une différence significative au niveau de l’intégrité des boucles neuromotrices entre sujets sains et lombalgiques, avec un degré de significativité élevé. Mais intéressons-nous maintenant à la topographie du lien entre proprioception et lombalgie.
Afin de déterminer si une personne présente un déficit proprioceptif ou non, nous sommes partis du postulat que les témoins représentent une population sans déficit proprioceptif, du moins significatif. Nous avons donc procédé de la manière suivante :
• Si le résultat rectifié d’un sujet est situé dans l’intervalle de confiance du groupe témoin, la personne est considérée comme ne présentant pas de déficit proprioceptif.
• Si le résultat rectifié hors de l’intervalle de confiance du groupe témoin, ou qu’elle échoue au test, la personne est considérée comme présentant un déficit proprioceptif. Nous trouvons donc le schéma ci-contre.
Comme prévu dans la revue de littérature, la réalité ne donne jamais un résultat parfait, mais on peut observer que la topographie se rapproche de LcD (à 96%). Si l’on met en place la procédure dans laquelle on teste un déficit proprioceptif pour mettre en évidence une lombalgie, on trouve une sensibilité (L∩D/L) de 96%, quasi parfaite.
Suivant le même raisonnement, on voit que S est inclus dans P à 75%, ce qui nous donne une spécificité (S∩P/S) de 75%, un peu plus faible que la sensibilité, mais acceptable.
On en conclue donc que la proprioception est un bon marqueur de la lombalgie, au vu des résultats de cette étude.
Cependant, cette topographie mérite d’être approfondie. En effet, nous nous sommes intéressés dans cette étude à la lombalgie chronique seulement. Mais la lombalgie aigue, occupant une place non négligeable dans la population, n’est pas représentée ici. Et en réalité nous sommes donc sur la topographie suivante (voir schéma ci-contre).
Cette part d’inconnu nous empêche de connaître plusieurs données, notamment la VPP (=Lc∩D/D) et la VPN (=S∩P/P) dans le cadre de la même procédure.
Nous avons donc démontré que ‘’une lombalgie produit une perte proprioceptive, dans 96% des cas, et qu’un rachis sain produit une bonne proprioception dans 75% des cas. Mais des données manquent afin de conclure sur la proportion des pertes proprioceptives ayant une lombalgie, et la proportion des proprioceptions intactes ayant un rachis sain. Et même si nous pouvons nous douter que les proportions seront plutôt élevées, il serait intéressant de les mesurer.
Ce test a le mérite d’être relativement plus précis que les tests des études précédentes, étant le seul à mettre en évidence la proprioception comme marqueur de la lombalgie chronique. On peut expliquer cela par :
• L’emploi du Mobidos®, qui focalise le travail sur la zone lombaire dans sa physiologie
• L’élimination de nombreuses compensations
• Le ciblage de la dominante proprioceptive, en ne mettant pas en tension les autres dominantes (raideur, déficit de force)
• Le montage laser-webcam-informatique, fixe et donnant une précision et reproductibilité relativement bonne. Il se doit tout de même d’être précisé que certaines études n’ont pas différencié lombalgie chronique et aigue, et qu’il est probable que la proprioception ne soit pas un marqueur fiable de la lombalgie aigue (La lombalgie étant plurifactorielle). Chez les sujets chroniques, avec un rachis dégénératif, la dominante proprioceptive est quasi systématiquement touchée, à plus ou moins grande échelle. Mais chez le sujet aigu, il se peut dans certains cas que la dominante proprioceptive soit intacte, ou peu altérée. Ce test et le squelette statistique pourraient être utilisés avec des échantillons plus larges, afin d’affiner la précision des pourcentages et des courbes (notamment la corrélation poids résultat qui permettrait d’augmenter la précision de la correction du résultat).
Nous pensons en particulier à inclure à l’étude les lombalgies aiguës, permettant ainsi : de compléter la topographie du lien entre lombalgie chronique et proprioception ; et de poser celle entre lombalgie aigue et proprioception. Ce test pourrait servir dans le cadre d’investigation ultérieure sur la proprioception lombaire, ne requérant pas de matériel couteux, ni de procédé d’analyse complexe.
En revanche, il nécessite une mise en place et une analyse du résultat assez longue et fastidieuse. Il ne peut donc, tant qu’un logiciel d’automatisation n’a pas été créé, être utilisé comme procédure simple pour détecter un déficit proprioceptif par les cabinets libéraux ou les centres de rééducation.
Un test simple à l’aide du Mobidos® peut être imaginé : La personne doit tenir en équilibre dix secondes sur la nacelle. Un échec signe, au vu des résultats du groupe lombalgique, des boucles de régulation neuromotrices lombaires présentant une défaillance importante.
Même si en l’état actuel, ce test peut s’avérer utile, des études complémentaires devront bien sûr être menées ; notamment sur la reproductibilité de ce test, et sur le phénomène d’apprentissage si la rééducation est faite sur la nacelle.
Ce test, même s’il est beaucoup moins précis que le test comprenant l’analyse informatique, semble malgré tout très adapté à la pratique rééducative.
En effet, nous venons de démontrer que dans 96% des cas, le lombalgique chronique présentait un déficit proprioceptif. Le but n’est donc pas, en rééducation, d’avoir un tel niveau de précision, afin de repérer les déficits même minimes, puisque la quasi-totalité des lombalgiques chroniques en ont. Ce test étant prodigué en vue d’une rééducation, son but sera de repérer les composantes proprioceptives importantes, de mettre en évidence les ‘’dominantes proprioceptives’’, afin d’axer la rééducation dessus.
Nous tenons à rappeler que cette procédure teste l’intégralité des boucles de régulation neuromotrices, et qu’elle ne renseigne pas sur la situation du déficit. Celui-ci peut en effet se trouver à de multiples endroits de la boucle, comme au niveau des capteurs musculaires, des capteurs articulaires (brouillage avec la douleur par exemple), au niveau de la qualité des boucles neuromotrices (mauvais schéma moteur, boucle neuromotrice délaissée), etc.... Le praticien devra donc penser à pousser son investigation afin de repérer le ‘’niveau d’atteinte’’ de la boucle.
Cette procédure a, en l’état actuel des choses, l’inconvénient de la difficulté augmentant avec le poids du sujet. Nous noterons que cet inconvénient est également présent sur ballon de Klein, ou plateau de Freeman... Elle a en revanche l’avantage d’être simple, rapide, peu coûteuse, et utilisable par tout praticien.
Le lien statistique entre proprioception et lombalgie ne semble donc plus faire de doute, à travers la revue de littérature et l’étude menée. Mais plusieurs axes, que l’on peut mettre en lien avec la pratique rééducative ressortent des résultats collatéraux.
L’étude de la topographie du lien nous apporte que 96% des lombalgies chroniques ont un déficit proprioceptif lombaire.
Il sera donc inutile de tester si oui ou non le patient a un déficit, puisque la réponse sera oui, il en a un.
En revanche, il va s’avérer plus utile de tester l’importance de ce déficit. L’ébauche de test présentée dans la discussion peut servir de base pour mettre en évidence les déficits proprioceptifs importants. Nous laisserons le soin au thérapeute d’évaluer subjectivement, au fur et à mesure du traitement, l’amélioration proprioceptive du patient.
Les conséquences d’un point de vue de la rééducation sont donc :
• Une prise en charge proprioceptive lombaire minimum systématique du patient lombalgique chronique, puisqu’ils présentent tous un déficit.
• Une prise en charge proprioceptive plus approfondie dans le cas d’une mise en évidence d’une dominante proprioceptive plus importante. On axe naturellement le traitement sur les dominantes du bilan, comme on l’aurait axé sur les étirements, notamment sous-pelviens, en cas de mise en évidence d’une dominante de raideur à ce niveau-là. La prise en charge par l’appareil, non traité dans cette étude, semble intéressante pour les mêmes raisons évoquées lors du choix de l’appareil pour le test : Travail du rachis dans sa physiologie, blocage des compensations de la voute plantaire et des membres inférieurs, blocage de la compensation visuelle en fermant les yeux. Pour retravailler la proprioception, on pourra, à l’aide de l’appareil, rétablir :
• De bonnes réponses adaptatives : le biofeedback, que l’on travaille en réagissant au déséquilibre.
• De bonnes réactions anticipatrices : le feedforward, dont on se sert en mettant le rachis lombaire en ‘’alerte’’ lorsque l’on sent que l’on va tomber.
• Des boucles neuromotrices précises, avec un relâchement des fibres inutiles pour ne pas verrouiller la zone. N’oublions pas que le rachis lombaire est une zone de mouvement, et que ces mouvements doivent être possibles avec un équilibre maintenu. On pourra donc travailler cet équilibre tout en demandant des mouvements au patient, en progression.
Le travail sur nacelle offre donc des perspectives rééducatives prometteuses. Un approfondissement dans cet axe serait intéressant, avec notamment la création d’exercices variés, en progression, et pourquoi pas la mise en place d’un protocole afin de tester l’efficacité d’une rééducation proprioceptive dans la physiologie du rachis, quand elle est indiquée.